Quelques jours après avoir fait de la jeune Rawan Qaddah (16 ans) la vedette involontaire d'une scabreuse affaire,
le régime syrien a récidivé en présentant sur les écrans de la chaîne
de télévision officielle, le 5 octobre, les aveux d'un redoutable franc-tireur de 13 ans, membre d'un groupe terroriste, qui revendiquait l'assassinat de 32 personnes ! Or, de toute évidence, le physique et la personnalité de ce serial killer ne lui auraient jamais permis de réaliser un tel exploit.
Selon son
récit, très tôt orphelin de mère et élevé par un père âgé en compagnie
de deux autres enfants issus d'un second lit, le jeune Chaaban Abdallah
Hamida occupait un modeste emploi à Alep, sa ville natale, lorsque son
oncle maternel lui avait offert un petit pistolet, "de calibre 5,5"
précise-t-il. Il s'était entraîné au tir et y avait manifesté une
certaine adresse. Trois mois plus tard, ce même oncle lui avait proposé
de travailler comme franc-tireur et l'avait incité à rejoindre un groupe
de Sâmeh-nî yâ bâbâ du Liwa Ahfad al-Rasoul. Les Sâmeh-nî yâ Bâbâ
sont des jeunes gens adeptes d'une nouvelle mode, en vogue mais aussi
très critiquée dans certains pays arabes, qui consiste à revêtir un
pantalon dont la fermeture éclair est non plus devant mais derrière…
A ses débuts, il a été conseillé par un
autre spécialiste du tir de précision. La mort de sa première victime
l'a empêché de dormir durant trois nuits. Son oncle lui a procuré un
somnifère et il n'a pas tardé à s'accoutumer à son nouveau travail. Il a
alors opéré seul, sans relâche de 7 heures du matin à 4 heures de
l'après-midi, soit durant 9 heures d'affilée, et "sans ressentir de
fatigue". Il compte à son tableau de chasse 10 civils abattus sur le
pont al-Chaar à Alep, un bilan sans doute jugé insuffisant puisque,
quelques minutes plus tard, il l'a "spontanément" porté à 32 personnes :
"13 civils, 10 militaires et 9 hommes armés"… Dénoncé à sa famille par
un autre franc-tireur qui jalousait ses exploits, il a été sévèrement
battu par son père, qui a aussitôt emmené les siens à Hama puis à
Tartous, où Chaaban a été employé successivement dans plusieurs
propriétés agricoles. Bien que prolixe dans ses réponses à certaines
questions, le jeune "terroriste" n'a fait aucune allusion ni à la date,
ni aux circonstances de son arrestation. Il est également resté muet sur
son sort actuel et, en particulier, sur le lieu et les conditions de sa
probable détention.
Comme lors des aveux faits précédemment
par d'autres jeunes "terroristes", la mise en scène s'est révélée
affligeante. Le journaliste anonyme qui dirigeait le dialogue, mais dont
les relances s'apparentaient souvent à une enquête de police, ne
faisait pas que lui poser des questions. Il lui fournissait, en même
temps, des éléments de réponse. Ainsi, prié de "parler de sa mère
décédée", le jeune garçon a répondu sans surprise que sa mère était
morte... Mais, quelques minutes plus tard, ayant oublié ce "détail", il
indiquait que, à Tartous, il travaillait dans les champs et vergers "en
compagnie de sa mère"… Il est souvent apparu perdu, hésitant, le regard
dans le vague. Bien que s'exprimant en phrases décousues, il a fourni
des détails dont la précision technique montrait qu'ils avaient été
soigneusement choisis avec son interlocuteur ou avec les "préparateurs"
des services compétents qui l'avaient mis en condition.
Pour les spécialistes, les
invraisemblances de ce récit lui ôtent toute crédibilité. Il est
impossible de former un tireur d'élite en moins de 6 mois. En raison du
poids et de la taille des armes utilisées pour ce genre de travail, ceux
qui l'exercent doivent posséder une force physique, une maîtrise
corporelle, une puissance de concentration et un contrôle de ses
émotions qu'un enfant de 13 ans n'a pas. Ni sa constitution, ni le
caractère qu'il a laissé entrevoir dans ses réponses et son comportement
ne permettent de penser que le jeune Chaaban puisse faire exception à
la règle. Il est par ailleurs douteux qu'un franc-tireur puisse opérer 9
heures à la suite sans éprouver des baisses d'attention nuisibles à son
rendement.
Quant aux activistes syriens et aux
médias arabes, intrigués par cette affaire, ils ont tenté, mais sans
aucun succès, de retrouver à Alep la piste de la famille Hamida et du
jeune tireur d'élite…
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En se livrant conjointement à ce genre de manipulation, les moukhabarat,
qui fournissent les acteurs et le script, et le ministère de
l'Information, qui en assure l'enregistrement et la diffusion, ont
offert une nouvelle confirmation des relations étroites qu'ils
entretiennent dans un système aussi répressif que L'Etat de barbarie.
Tandis que les médias officiels, contrôlés de près par le ministre de
l'Information, ont pour mission de transmettre aux Syriens ce qu'il leur
faut croire, penser et faire, les services de renseignements ont pour
tâche de sanctionner ceux qui refusent d'adhérer aux idées qu'on leur
impose, de penser comme on leur demande et de faire ce qu'on leur
ordonne. La présence actuelle à la tête de l'Information d'Omran
al-Zoubi, un avocat de longue date des services de renseignements que
rien ne prédisposait à assumer une telle fonction, montre que, plus que
jamais, ces deux institutions travaillent la main dans la main au
service du régime et non point de l'Etat.
Aucun des comparses de cette sinistre
farce ne pouvant malgré tout imaginer que les téléspectateurs syriens,
et à plus forte raison les autres… s'il en est, goberont tout ou partie
de cette prestation, leurs motivations sont ailleurs.
La présentation de ce jeune "terroriste" peut d'abord contribuer à montrer la persistance du phénomène, dénoncé par quelques organisations de Droit de l'Homme, de l'utilisation d'enfants en Syrie par certains groupes armés. Si une telle exploitation est avérée et se poursuit de la part des "rebelles, elle doit être fermement condamnée. Mais de son côté, on notera que le régime n'hésite pas à utiliser des enfants mineurs - et des femmes - comme boucliers humaines lors d'opérations militaires, comme otages au lieu et place de leurs parents recherchés, et, comme on le voit dans la présente affaire, comme instruments de la propagande officielle.
Cette mise en scène est porteuse d'un autre message, dont les Syriens n'avaient pas vraiment besoin après 50 ans de dictature du parti unique puis d'autoritarisme "assadien" et après plus de 30 mois d'une répression sauvage. Il se lit ainsi : "En Syrie, nous sommes les maîtres et nous faisons ce que nous voulons, que cela vous plaise ou pas. Vous en voyez, dans ce spectacle, une nouvelle démonstration".
La présentation de ce jeune "terroriste" peut d'abord contribuer à montrer la persistance du phénomène, dénoncé par quelques organisations de Droit de l'Homme, de l'utilisation d'enfants en Syrie par certains groupes armés. Si une telle exploitation est avérée et se poursuit de la part des "rebelles, elle doit être fermement condamnée. Mais de son côté, on notera que le régime n'hésite pas à utiliser des enfants mineurs - et des femmes - comme boucliers humaines lors d'opérations militaires, comme otages au lieu et place de leurs parents recherchés, et, comme on le voit dans la présente affaire, comme instruments de la propagande officielle.
Cette mise en scène est porteuse d'un autre message, dont les Syriens n'avaient pas vraiment besoin après 50 ans de dictature du parti unique puis d'autoritarisme "assadien" et après plus de 30 mois d'une répression sauvage. Il se lit ainsi : "En Syrie, nous sommes les maîtres et nous faisons ce que nous voulons, que cela vous plaise ou pas. Vous en voyez, dans ce spectacle, une nouvelle démonstration".
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Est-il utile de rappeler que la Syrie a
signé la plupart des traités et pactes internationaux concernant, outre
les Droits de l'Homme, ceux des Femmes et des Enfants ? Mais, comme elle
le fait avec sa propre Constitution, avec sa législation, avec ses lois
d'exception et avec les jugements de ses tribunaux civils et
militaires, elle ne les respecte et ne les met en œuvre que pour autant
que le régime y trouve son intérêt. En son temps, Hafez al-Assad a
pratiqué sur une large échelle la prise d'otages, lorsqu'il a vu dans
l'enlèvement et l'emprisonnement des enfants un moyen de contraindre
leurs pères ou leurs frères aînés à se rendre. Pour accentuer les
pressions sur ceux qu'il voulait à tout prix récupérer, il n'a pas non
plus hésité à soumettre ces enfants à la torture. Plus d'un en est mort.
Son héritier n'a rien modifié à cette
manière de faire, comme en témoigne l'arrestation, en 2002, du jeune
Mousab al-Hariri alors âgé de 14 ans, dont la condamnation à mort en
2005 pour "appartenance aux Frères Musulmans" a été commuée par la Haute
Cour de Sûreté de l'Etat en 6 ans de travaux forcés. En réalité,
c'était son père, membre de l'Association réfugié en Arabie saoudite
depuis le début des années 1980, que les moukhabarat voulaient
capturer. Avec le déclenchement de la révolution, la situation s'est
aggravée. Les prises d'otage se sont multipliées d'enfants mineurs, et
même, dans un cas au moins dénoncé par l'Observatoire Syrien des Droits de l'Homme le 24 mai 2012, d'un enfant de 2 ans dont le père était activement recherché...
On reviendra prochainement sur la remise
en liberté d'un autre jeune garçon, Moadh Abdel-Rahman, 16 ans, dont le
témoignage sur les conditions de détention dans les prisons des
services de renseignement montre comment sont aujourd'hui encore traités
les mineurs, garçons et filles, dans la Syrie du "docteur" Bachar
al-Assad. Depuis le début de la révolte populaire, le Violations Documentation Center
dont les chiffres sont considérés comme "prudents" a dénombré
l'arrestation et l'emprisonnement de 997 garçons et 38 filles, tous
mineurs. Sur ce nombre, selon le même centre, 75 au total, dont deux
filles, sont décédés , les uns exécutés, les autres tués sous la
torture…
On n'ose imaginer quel bilan la Syrie présenterait aujourd'hui dans ce domaine, si elle n'avait pas à sa tête un "médecin"...
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